Ce n'était pas ta faute

La culpabilité et la honte ressenties par l’enfant abusé et traumatisé trouvent souvent leur origine dans la pensée magique propre à l’enfance. Dans cette pensée, l’enfant croit que ses désirs peuvent se réaliser « comme par magie », sans intervention extérieure. Pour lui, penser ou désirer quelque chose suffit à le rendre réel. Lorsqu’un traumatisme survient, cette pensée magique amène l’enfant à croire qu’il en est responsable, que ses désirs ont provoqué ce qui lui est arrivé.

Quand l’enfant commence à développer sa libido et qu’il est abusé sexuellement ou psychologiquement par un adulte, il se persuade qu’il a « déclenché » cet événement par le pouvoir de ses pensées. Les désirs qu’il ressent en lui semblent se matérialiser à l’extérieur, comme si l’adulte répondait à ces désirs naissants. Cette coïncidence apparente crée une confusion profonde : l’enfant se dit que l’adulte ne peut pas avoir tort, puisqu’il semble répondre à quelque chose de vrai en lui. Mais à ce stade, l’enfant ne connaît pas encore l’altérité. Pour lui, il n’y a pas de distinction claire entre lui et le monde. Tout est fusionné.

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L’enfant ne sait pas encore que ses désirs, bien qu’intenses et naturels, n’ont pas vocation à se concrétiser dans la réalité. Pourtant, l’expérience imposée par l’adulte semble valider cette « vérité » intérieure, rendant impossible pour l’enfant de la nier ou de la rejeter. Il ne peut pas encore comprendre que ce qu’il subit ne vient pas de lui, mais de l’adulte. Cette incapacité à différencier ses propres désirs de l’action de l’autre l’empêche de se protéger et de rejeter ce qui lui est imposé.

Pour se défendre, l’enfant développe une honte et une culpabilité écrasantes. Ces émotions, bien qu’elles semblent introduire une séparation entre lui et l’adulte, agissent en réalité comme un piège. L’enfant se dit : « Comment ai-je pu faire cela ? Ce n’est pas moi. » Il renie ses désirs, qu’il percevait initialement comme beaux et innocents, car ils sont désormais associés à la douleur et à la souffrance. Il se sent trahi par son propre corps et ses instincts, et cette trahison perçue fragmente sa personnalité. La dissociation apparaît alors : l’enfant rejette ces désirs qu’il considère comme immondes, se coupant de lui-même.

Les abuseurs exploitent ces mécanismes psychologiques. Ils utilisent la culpabilité de l’enfant pour le manipuler, le menacer ou le séduire. Cette culpabilité devient un faux ami : au lieu d’aider l’enfant à se libérer, elle le pousse à se méfier de lui-même. En grandissant, il devient son propre ennemi, incapable de se faire confiance. Sa sexualité, autrefois source de curiosité et de plaisir, devient un territoire dangereux.

L’enfant ne peut pas se protéger seul. Il lui manque les outils psychologiques et les codes nécessaires pour comprendre et exprimer ce qu’il vit. Il est prisonnier de son corps, conscient qu’une vérité dérangeante existe, mais incapable de la nommer. La vérité de ses désirs et le mensonge de l’adulte s’entrelacent dans un duo pervers qu’il ne peut décrypter. Il se retrouve face à un tribunal imaginaire, sans défense.

Reprendre le pouvoir sur ses désirs

Comprendre que « ce n’était pas ta faute » est une étape essentielle pour se réconcilier avec soi-même. Cela signifie accepter que tes désirs, bien qu’ils aient fait partie de toi, n’ont jamais justifié l’intervention de quelqu’un d’autre. Ces désirs ne t’ont pas trahi. Ils étaient naturels, légitimes, et ils le sont toujours.

Il est temps de leur redonner une place dans ta vie, comme on retrouve un ami de longue date. Imagine que cet ami, que tu aimais tant, t’a été arraché par quelqu’un qui t’a raconté des mensonges à son sujet. Tu as cru ces mensonges, et ils t’ont séparé de cet ami. Aujourd’hui, il est temps de l’écouter à nouveau, de lui redonner la parole. Cet ami, c’est toi. C’est la vérité sur toi, celle qu’on t’a volée. Le moment est venu de la revendiquer, avec bienveillance et courage.

Roxana Mihalache