Le psy silencieux : art ou hasard ?
- Roxana Mihalache
- il y a 2 jours
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J’ai souvent entendu des personnes se plaindre du « silence du thérapeute » en thérapie. Que ce soit au cabinet, lors de fêtes, de réunions entre amis, dans des bars ou d’autres contextes sociaux, la phrase qui revient fréquemment est : « Je ne supporte pas les psy ». Lorsque je demande pourquoi, dans près de 95 % des cas, la réponse est la suivante : « Parce qu’il ne parle pas », « J’avais l’impression de parler à un mur ou à un robot », « Il n’y avait aucun échange », « Je suis sorti de la thérapie pire que j’y étais entré », « Ce silence glacial m’a terriblement angoissé et mis mal à l’aise », « Je ne me suis pas senti soutenu », « Je n’ai pas senti que le thérapeute était là, qu’il se souciait de moi », « La thérapie ne m’a rien apporté de bon, elle ne m’a rien appris ».
Après ces confidences, je leur demande toujours s’ils ont tiré quelque chose de positif de ces séances. Là encore, dans plus de 90 % des cas (pour ne pas dire 99 %), la réponse est NON. Non seulement cela ne les a pas aidés, mais cela a parfois aggravé leur état, et, pire encore, ils ont perdu confiance dans les « psy » et dans la thérapie en général, n’y retournant jamais.

photo : internet
Ils pensent alors que tous les thérapeutes sont identiques, que la thérapie consiste à parler seul face à un thérapeute muet. Parmi toutes les personnes interrogées, seules deux ou trois m’ont dit que cela les avait « un peu aidées ». L’une d’elles m’a raconté avoir vu un thérapeute « silencieux » qui, dès son arrivée, posait sa montre sur la table et ne disait absolument rien. La personne, déjà bloquée dans son langage et ses émotions, se retrouvait face à son propre mutisme. Pendant neuf mois, il n’y a eu aucun échange verbal, et elle a fini par arrêter la thérapie. Toutes les personnes à qui j’ai parlé ont fini par quitter ces thérapeutes, et beaucoup ont ensuite rencontré d’autres professionnels plus réactifs, qui parlaient, participaient, analysaient et partageaient leurs observations. Résultat : elles se sentaient comprises, progressaient, apprenaient à mieux se connaître, s’apprécier et à comprendre les autres, et se sentaient soudainement plus à l’aise.
Dès lors, une question se pose : pourquoi certains thérapeutes persistent-ils dans cette attitude silencieuse, alors que tant de personnes témoignent que cela ne les aide pas, voire les traumatise ? Ne devrions-nous pas nous interroger sur l’efficacité de cette posture et reconsidérer notre façon d’aborder le patient ? Car, après tout, le patient est celui qu’il faut écouter « en premier lieu », c’est l’une des bases de la thérapie. Et s’il exprime que le silence le fait souffrir, ne devrions-nous pas l’entendre, d’autant plus que nous partons du principe qu’il est le mieux placé pour savoir ce dont il a besoin ?
À la base, le silence du thérapeute vise à offrir un espace « neutre » pour permettre à l’inconscient du patient de s’exprimer, sans être influencé par la « subjectivité du thérapeute ». Mais ce type d’« écoute » – le thérapeute écoute-t-il vraiment ? – soulève plusieurs questions. Par exemple, lorsqu’une personne très anxieuse s’exprime pour la première fois devant un inconnu silencieux, elle se retrouve face à son propre inconscient, souvent perçu comme une menace. Il est naturel qu’elle se sente encore plus anxieuse, car personne n’est là pour l’encadrer. Le thérapeute devient alors un simple témoin de la « dévoration » du patient par ses propres angoisses.
Ce type d’écoute silencieuse s’oppose à l’écoute active, qui consiste à poser des questions, à reformuler, à communiquer au patient ce que le thérapeute a compris ou non. Il est normal que le patient parle la plupart du temps et que le thérapeute écoute, mais cela ne doit pas être systématique, et surtout pas lors des premières séances ou avec des personnes très anxieuses. L’un des principes fondamentaux de la thérapie est d’instaurer un climat de confiance, qui se construit avant tout par la communication. La voix révèle beaucoup sur une personne. Lorsque le patient écoute le thérapeute, il perçoit la tonalité de sa voix : est-elle chaleureuse, froide, bienveillante, hostile, empreinte de jugement ? Ainsi, il peut ressentir le thérapeute, établir une connexion et une relation de confiance. La manière dont une personne s’exprime, la couleur de sa voix, forme une sorte de mélodie que l’on peut ressentir, et qui nous indique si elle est dissonante ou harmonieuse, si elle est « en accord » avec nous. Une fois cette relation de confiance établie dès les premières séances, le silence du thérapeute ne plonge plus le patient dans l’inconfort, même si ce dernier peut parfois éprouver un sentiment de vide ou d’abîme lorsque le thérapeute se tait.
On peut comprendre l’idée selon laquelle le patient ressent et expérimente, à ces moments-là, certaines manifestations de l’inconscient auxquelles il doit faire face. C’est vrai. Tout ce qu’il projette dans ces instants de silence – le sentiment de ne pas être soutenu, l’impression de parler à un mur ou à un robot, etc. – provient sans doute de périodes particulières de sa vie. Il est essentiel d’examiner ces moments avec la plus grande attention, car ils constituent un matériau précieux pour le travail thérapeutique.
Cependant, il est possible de travailler en parlant, en tant que thérapeute, et non en maintenant un silence permanent. Poser des questions, intervenir, échanger : le patient ne vient pas en thérapie pour parler, se questionner et conclure seul. Sinon, il pourrait très bien le faire chez lui, et les « psy » n’auraient pas besoin de tant d’années d’études simplement pour… rester silencieux et observer le patient lutter seul pour « s’accoucher ».
D’ailleurs, en parlant de naissance, le bébé fournit beaucoup d’efforts pour sortir du ventre de sa mère, mais sans l’aide des médecins et de la mère pour le pousser, il ne pourrait pas naître.
Les projections du patient sur le thérapeute silencieux ne sont utiles que si elles sont accueillies et travaillées. Il faut les recevoir comme on accueille une personne qui frappe à notre porte : on l’invite à entrer, on s’intéresse à elle, on établit une relation. On ne la laisse pas dehors, ni ne l’observe en silence par la fenêtre.
Finalement, on peut se demander : le silence absolu est-il vraiment bénéfique pour quelqu’un ? Si l’on met de côté le cadre thérapeutique, pensons à d’autres situations où l’on s’ouvre à quelqu’un, comme à un ami. Imaginons que l’on se confie à son meilleur ami, qu’on lui raconte tout, de A à Z, et qu’il reste silencieux pendant une heure. Peut-être se contente-t-il de dire « je comprends », puis plus rien, et à la fin, il ne prononce qu’un simple « au revoir ». Si cela se répète, n’aurions-nous pas l’impression qu’il ne se soucie pas vraiment de nous ?
Même un ami proche pourrait nous donner ce sentiment, alors imaginez un thérapeute, que l’on paie en plus. Cela pourrait renforcer l’impression non seulement d’indifférence, mais aussi d’avoir été floué. En fin de compte, on a l’impression de payer pour se parler à soi-même, face à ses propres projections… bonnes ou mauvaises… qui sait ? Nous le découvrirons peut-être dans l’épisode deux de la saison trois. En attendant… mystère.
En conclusion, si vous ressentez un malaise persistant avec votre thérapeute, quelle que soit son approche ou sa personnalité, ce n’est pas normal. Il est tout à fait légitime d’arrêter la thérapie et de chercher un professionnel avec qui vous vous sentez réellement bien. Par « se sentir bien », j’entends trouver quelqu’un auprès de qui vous avez l’impression de progresser, d’évoluer, et qui vous apporte un enrichissement émotionnel et intellectuel.
Bien sûr, il est normal de traverser des moments d’inconfort en thérapie : il arrive d’avoir des périodes de vide, des silences parfois un peu tendus, ou de ne pas toujours savoir « où vous en êtes ». Il est aussi possible de ne pas se sentir compris ou soutenu par son thérapeute à certains moments ; dans ce cas, il est important d’en parler et de clarifier la situation. Mais il n’est pas normal de ressentir cela en permanence. Il n’est pas normal non plus de ne constater aucun progrès, même après plusieurs mois de thérapie, ou d’avoir systématiquement l’impression de quitter le cabinet dans un état pire qu’à votre arrivée.
Dans ces situations, il ne s’agit plus d’une véritable thérapie. Cela peut parfois relever d’une forme d’abus, de contrôle, de manipulation, de désintérêt de la part du thérapeute, voire, dans des cas extrêmes, de sadisme, de manque d’empathie ou de compétences. Être thérapeute ne garantit pas automatiquement de bonnes intentions ou une réelle bienveillance envers les autres. C’est un sujet important, souvent à l’origine de thérapies qui « n’avancent pas ». Il existe des thérapeutes qui ne s’impliquent pas, pour diverses raisons, et il ne s’agit alors pas de la fameuse « résistance » du patient à l’analyse. Tout n’est pas de la « faute » du patient : chaque situation doit être examinée avec discernement.
Lors du choix de votre thérapeute, faites confiance à votre instinct et à la qualité de la relation qui s’établit dès les premières séances. La « chimie » ressentie au début est souvent un bon indicateur pour la suite du travail thérapeutique.
Roxana Mihalache
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